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FadosFilm portugais, espagnol de Carlos Saura – 1h30 - avec Chico
Buarque de Hollanda, Caetano Veloso, Mariza
Long-métrage dédié au Fado, ce style musical mélancolique
portugais qui, à en croire le réalisateur, se serait étendu de l’Angola au
Brésil. Cette sympathique production ibérique (hispano-portugaise)
est, théoriquement, consacrée au fado. Le titre, au pluriel, affecte d’ignorer
ce qu’est cette expression artistique, apparue dans les rues estudiantines de
Coimbra et dans le quartier lisboète mal famé de l’Alfama, dont les codes ont
été fixés depuis plus d’un siècle. Le film met en valeur des vedettes Caetano Veloso, ou son compatriote Chico
Buarque, qui se sort avec une grande classe de la confrontation forcée entre
l’ancien et le nouveau monde musical – les anciennes colonies du royaume
s’étendant comme on sait de l’Afrique au Brésil (Saura oublie au passage
Macao-enfer-du-jeu). Il est certain que la charge d’humanité, le message
universel que représente le cri munchien du fado ne peut laisser indifférent,
en dehors de la Lusitanie. La séquence inaugurale sur l’exil, avec des personnages
portant leur valise en carton et défilant de gauche à droite en ombres chinoises,
fait penser à la première salle du Musée de l’immigration de la Porte Dorée et
au magnifique travelling discontinu projeté sur plusieurs écrans vidéo. L’exil
du fado a surtout été celui des paysans et marins vers la ville-phare. Objectif cinéma
Site internet du film
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On the Rumba River
Film français de Jacques Sarasin - 1h26 - avec Wendo Kolosoy
C'est en sillonnant le majestueux fleuve Congo pendant une
dizaine d'années, les mains sur les cordages et dans le cambouis qu'il a
composé ses premières chansons, en grattant sa guitare, le regard perdu dans un
décor fluvial fascinant. Orphelin très jeune, emprisonné, excommunié par les
pères belges car ses textes perturbaient la jeunesse puis boxeur professionnel,
tous ces ingrédients forment la trame d'une vie hors du commun, celle d'Antoine
Kolosoy, dit « Wendo ». Son heure de gloire arriva en 1948 avec la sortie de son
premier tube panafricain : Marie
Louise. Il est alors devenu la première superstar de la musique congolaise,
et il l'est resté pendant toutes les années 60, cette époque de l'indépendance
où toutes les folies et tous les rêves étaient possibles. Il est aujourd'hui, comme s'expriment ses compatriotes, « un
monument » de l'histoire de la République Démocratique du Congo. Il est le
grand-père fondateur de la rumba congolaise, cette musique exportée à Cuba par
la traite négrière. C'est ainsi moins à son étonnante biographie que s'intéresse
Sarrasin qu'à l'homme d'aujourd'hui dans une ville délabrée. Il donne la parole
à ses musiciens qui parlent affectueusement du maître mais c'est surtout
l'occasion de leur demander comment eux-mêmes sont venus à la musique. Sarrasin
filme leurs retrouvailles musicales avec grande sensibilité, alternant des
tableaux d'ensemble à une multitude de plans très rapprochés où la caméra se
fond au sein du groupe, va chercher les gestes et les regards, la sueur sur la
peau et les mains sur les instruments, capte le rythme de chacun pour servir
cette délicieuse rumba que dansent des initiés de plus en plus nombreux. Et c'est un vrai bonheur de se laisser bercer par les images
comme par la musique, le film nous en laissant très heureusement le temps sans
que jamais une seconde ne paraisse de trop. Fulgurant, par exemple, ce
démarrage en clairs-obscurs sur le seul son de bâtons qui installent un rythme
complexe et fascinant…
D’après www.africacultures.com
N.B. Antoine Kolosoy, dit Papa Wendo, est décédé le 28 juillet dernier) à Kinshasa
Site
internet
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Shine a light
Film
américain de Martin Scorsese - 2h02 - avec Mick Jagger, Keith Richards
Question à Mick Jagger, on est vers 1969-1970, période Beggars Banquet : Vous vous voyez encore faire ça à 60 ans ?
Lui, hilare Easily. La preuve,
quarante ans plus tard, par Martin Scorsese. Un concert des Stones à New York,
un film, les deux en même temps : le rock, l’image, l’image-rock. Ça s’appelle
Shine a Light : ne pas aimer est
inadmissible, direction l’enfer des peine-à-jouir. Marin Scorsese l’a dit :
il veut filmer comme les Stones jouent. Cela veut dire quoi ? Écoutez
plutôt le double riff à la hache de Jumpin’Jack
Flash, le rideau du Temple qui se déchire. Il y a un avant, il y a un
après. Tous les films de Scorsese démarrent comme ça. Shine a Light est un traité d’art filmique scorsésien. Avant ? Le travail, la répétition, les archives.
Scorsese montre un peu, pas assez à notre goût. Avant ? Le concert même.
Vu en 2008 (deux ans plus tard), ce qui sidère : l’énergie intacte, le
bonheur de jouer. Le duo avec Buddy Guy, Champagne
& Reefer (preuve qu’on peut monter encore plus haut) ; celui avec
Christina Aguilera Live With Me :
300 à l’heure décapotable, Charlie Watts implacable au volant. Les bonnets de
nuit disent : voyez les rides, l’argent. Quels cons ! Voyez plutôt l’œil
de Scorsese sur le visage silex de Keith Richards aujourd’hui comme au temps de
Satisfaction (ici une version fabuleuse).
Les mêmes. Ni jeunes ni vieux. Et puis quelle importance ? Garçons, la
même chose ! La Revue des Deux Mondes
Site internet du film
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Sonic Mirror
Film finlandais, suisse, allemand de Mika Kaurismäki - 1h19
- avec Bill Cobham, Randy Brecker, Debalê Malê
Le quatorzième long-métrage de Mika Kaurismäki, grand frère
du célèbre Aki, n’est pas un documentaire comme les autres. Certes, le sujet
principal reste la musique comme dans deux de ses œuvres récentes consacrées au
Brésil, Moro no Brasil et Brasileirinho. Mais c’est le cheminement
qui est étonnant et même exemplaire. Sous couvert de réaliser le portrait d’un
génie méconnu de la musique, le batteur Billy Cobham (qui a tout de même joué
avec Miles Davis), le cinéaste finlandais nous entraîne aux quatre coins du
monde pour s’intéresser surtout aux différents projets et rencontres du
musicien. Il ne s’agit donc pas d’une biographie classique mais plutôt une
illustration du pouvoir rassembleur de la musique, univers à part entière dans
lequel tout le monde peut se retrouver malgré ses différences. Cela paraît un
peu désuet, dit comme cela, mais la progression et le montage du film le
prouvent au bout du compte. Que l’on soit dans les favelas brésiliennes, à
Manhattan, en Finlande ou dans un institut suisse pour autistes, la puissance
de la musique nous unis. Le rythme est universel. C’est là que le choix de
Cobham, maître de la rythmique, passe d’intéressant à pertinent. Le montage
intelligent et judicieux crée des passerelles entre deux mondes, grâce à des
plans qui se répondent de manière habile. Ces échos et ces reflets (d’où le
titre) abolissent les frontières tout en fluidifiant le développement du «
récit » jusqu’au climax final, très efficace, qui fait se télescoper les lieux
et les hommes sur le rythme d’une même musique. Quant à l’atelier conçu pour
les autistes, il est impressionnant et symbolique. L’autiste est dans un monde
à part, dans une bulle, et l’un des rares liens qui le rapprochent de l’autre
c’est la musique, le langage rythmique qui brise les chaînes d’une perception
différente de la nôtre. CQFD. Cette réflexion sur le pouvoir du rythme s’accompagne de
morceaux live imparables, dans la rue ou dans des salles de spectacle, et d’une
bonne dose d’humour due à la personnalité joviale et hautement sympathique de Cobham.
Tous ces ingrédients font de Sonic mirror
une œuvre dense et passionnante. Bref, une réussite. www.aVoir-aLire.com
Site internet du film
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Souvenir
Film sud-coréen de Im Kwon-taek - 1h46 - avec Jung-hae Oh,
Cho Jae-Hyung, Oh Seung-eun
C’est une histoire d’amour impossible. Une histoire comme on
en raconte partout dans le monde, une histoire comme aime en raconter le grand
art musical et dramatique coréen qu’est la pansori. Mais Souvenir n’est pas un film tragique : il y a trop d’étrangeté,
parfois de comique, parfois de folie et parfois de tendresse pour enfermer le
film lui-même dans un genre ou une tonalité. La puissance du film, qu’on sache beaucoup ou rien du tout
de son auteur, du pansori, du cinéma coréen, etc., tient au sentiment d’un investissement
énorme, avec comme unique stratégie la plus extrême simplicité. Souvenir – titre désespérément
plat, le titre original évoquait mille oiseaux migrateurs – est un mélodrame,
donc, le récit à travers les décennies des impossibles retrouvailles entre un garçon
et une fille à travers les décennies. À travers les décennies, à travers les
sonorités, à travers les régions, à travers les imaginaires, le film se déplace
par brusques embardées, sans considération pour la chronologie ni pour la
géographie, selon une logique d’attraction et de rupture qui maintient une
tension stylisée, une vibration intense et à la limite du douloureux, qui
ressemble aux voix et aux percussions du pansori.
Les Cahiers du Cinéma
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Let's get lost
Film américain de Bruce Weber - 2 h - avec Chet Baker,
William Claxton
Chet Baker est doux. Sa présence est légère. Il a une voix
de soie et une trompette à pistons en si bémol. Il court sur une plage, il dort
sur un canapé, il sourit tendrement, et c'est un ange. Coupez : trente ans plus
tard, c'est une épave. Le visage est dévasté, les mains gonflées, la bouche
avalée. L'un des plus grands jazzmen de l'histoire de la musique est là, face à
l'écran, et la douleur s'installe. On a le cœur serré, à le voir. On a le cœur
heureux, à l'entendre. Dans Let's Get Lost,
le beau film de Bruce Weber, réédité aujourd'hui (il date de 1988), l'émotion
court dans chaque note, dans chaque image. Écoutez My Funny Valentine, et c'est une ombre de paradis, un instant d'Éden
qui passe. On n'a jamais fait mieux. On ne fera jamais mieux. De grands disparus
jouent avec lui : Stan Getz, Charlie Parker, Dexter Gordon, d'autres encore. En
1954, il enregistre Chet Baker Sings,
et c'est le triomphe. Il y a là une sorte de moiteur douce, une mélodie de bohème,
qui révèle des soirées passées dans des lits défaits, des cafés froids pris sur
le zinc des faubourgs, des sommeils tout en dérives lentes, des amours presque
oubliées. Chet Baker est une star, il en convient, il le dit. Mais l'héroïne
joue dans ses veines. Ses chansons sont sublimes. J'ai toujours été fasciné par Chet Baker, raconte Bruce Weber.
Après tout, pourquoi un photographe réputé, l'un des plus célèbres et les plus
demandés du monde (Ralph Lauren, Calvin Klein), perdrait-il son temps et son
argent (un million de dollars) pour tourner un documentaire étrange sur un
jazzman chu du ciel ? Je suis tombé
amoureux de sa musique.
Le Nouvel Observateur
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